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LAST EXIT
5 août 2008

Les Roms ou l'âme de l'Europe

Expulsions, violences, fichage : en s’en prenant aux Roms, le gouvernement de Berlusconi légitime le racisme, explique un sociologue italien.

A Rome vivent de 15 000 à 20 000 Roms (sur un total d’environ 150 000 dans toute l’Italie). La plupart d’entre eux ont la nationalité roumaine, les autres sont presque tous originaires d’ex-Yougoslavie. On recense par ailleurs environ 1 500 Roms et Sintis ayant la nationalité italienne. Ils vivent en grande majorité dans une très grande pauvreté, dans des camps qui sont de facto des ghettos ethniques. Seuls neuf de ces camps, abritant quelque 7 000 personnes, sont sous l’autorité des municipalités ; mais même là, les infrastructures sont réduites à leur plus simple expression.

En 2007, la police avait recensé dans la capitale 66 campements illégaux de Roms, qui ont tous fait l’objet de procédures d’expulsion. Ces procédures ne passaient pas par le relogement des habitants dans de meilleures conditions, mais par une destruction systématique de leurs baraques, qui a fait d’eux, y compris des femmes enceintes et des enfants, des sans-abri. Ces Roms, qui ne sont plus des nomades par choix, sont retournés au nomadisme sous la contrainte. Quand ils sont expulsés (souvent brutalement), ils se contentent de s’installer ailleurs et de s’atteler à nouveau, avec patience, à la construction d’un nouveau campement.
Ils choisissent souvent des sites cachés dans des bois, dans l’espoir d’éviter une nouvelle expulsion. J’ai visité quelques-uns de ces campements de fortune : les tentes sont fabriquées avec des branchages et des bâches, il n’y a ni toilettes ni électricité ni services collectifs. Le tout dans un des pays les plus riches de la planète. Le comportement des autorités enfreint les droits de l’homme les plus fondamentaux, en particulier ceux des femmes et des enfants. A quoi mesure-t-on le degré de civilisation d’un pays si ce n’est à la façon dont il traite les plus fragiles (handicapés, femmes, enfants, pauvres) ? A cet égard, l’Italie fait bien pâle figure.
Depuis la fin des années 1980, l’Italie reçoit un afflux de migrants sans précédent. Les gouvernements successifs ont mis en place des politiques d’accueil et d’intégration inadaptées. En conséquence, un malaise croissant s’est emparé des citoyens italiens, notamment dans les banlieues des grandes villes, où l’Etat et les services publics en général sont par ailleurs déjà peu présents. La détérioration des conditions de vie est souvent imputée aux étrangers, qui jouent ainsi le rôle classique du bouc émissaire. Les Roms se situent à cet égard tout en bas de l’échelle sociale, plus bas encore que les autres catégories d’immigrés : ce sont les premiers que l’on accuse et que l’on vilipende.

Les médias et les hommes politiques n’ont que faire des critères objectifs

Un autre facteur plus récent fait des Roms les responsables de tous les maux : la place prise par la thématique de la “sécurité” dans la rhétorique des médias et des dirigeants politiques italiens. Les discours sont souvent tendancieux et trompeurs : les statistiques officielles montrent que les infractions pénales n’ont pas augmenté au cours des dix dernières années, et que l’Italie a l’un des taux d’homicides les plus bas d’Europe. Rien ne justifie donc objectivement une campagne médiatique insistant sur de nouvelles menaces “sécuritaires”.

Mais les médias et les dirigeants politiques italiens n’ont que faire des critères objectifs. La plupart des journaux [voir la une de l’hebdomadaire Panorama, ci-contre] attirent l’attention sur les délits commis par des étrangers en insistant délibérément sur la nationalité du délinquant, et pendant la campagne pour les législatives des 13 et 14 avril dernier les figures politiques ont souvent fait vibrer cette corde. La victoire de la coalition de droite en est l’un des effets et s’est traduite par la volonté de mettre en œuvre des mesures drastiques contre les Roms : le nouveau gouvernement, non content de s’en prendre spécifiquement à cette communauté, envisage également, au mépris de tous les obstacles juridiques et pratiques, d’expulser tous les ressortissants de l’UE non-Roms (en particulier les Roumains) qui seraient dans l’impossibilité de gagner correctement leur vie en Italie.

Un Rom vivant et travaillant en Italie depuis vingt ans m’a raconté que les Italiens avec lesquels il est en relation pour ses affaires se sont mis à le regarder différemment, l’interrogeant pour la première fois sur ses origines. Ce n’est là qu’une preuve parmi tant d’autres du climat insidieux de stigmatisation et d’exclusion qu’instille le nouveau gouvernement de droite au pouvoir à Rome. Cela nourrit d’éventuelles nouvelles agressions contre les Roms par des riverains, comme ce fut le cas à Ponticelli, dans la banlieue de Naples, le 14 mai dernier. Car, une fois déclenchée, la dynamique de violence et de haine se révèle difficile à maîtriser – à moins que les discours et les mesures discriminatoires ne s’intègrent précisément dans un vaste projet secret de construction d’un Etat autoritaire, du genre de ceux qui commencent par s’en prendre aux étrangers et finissent par restreindre les libertés individuelles de toute la population.

“On m’a remis deux avis d’expulsion, mais où suis-je censée aller ?”

D’après mes estimations, environ 80 % des Roms qui vivaient en Italie avant le 1er janvier 2007, date de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne, ne disposaient d’aucun permis de séjour légal dans le pays. L’afflux de nombreux Roms venus de Roumanie après cette date, qui a fait des Roms la communauté la plus importante du pays, a entraîné une baisse sensible de ce pourcentage. Une grande partie de la population rom déjà installée en Italie vient de pays n’appartenant pas à l’UE et situés sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie (Croatie, Serbie, Monténégro, Kosovo et Macédoine). Mais beaucoup sont arrivés il y a trente ou quarante ans, bien avant les guerres des années 1990. Cette ancienneté ne semble nullement les aider, car eux aussi sont toujours considérés comme des immigrés clandestins.

Ces Roms aspirent à obtenir la nationalité italienne afin de pouvoir bénéficier de droits civils et sociaux. Cela leur est impossible. Pis encore, eux aussi sont susceptibles d’être expulsés. Une femme rom de 40 ans m’a déclaré : “On m’a remis deux avis d’expulsion, mais où suis-je censée aller ? Dans un pays que j’ai fui il y a trente-cinq ans ? Dans un pays que je ne connais pas, dont j’ai même oublié la langue ?” Un autre Rom, qui a vécu pendant trente ans à Rome (mais qui, au regard de la loi, est un clandestin), m’a dit : “Je me considère plus italien qu’un citoyen italien de 25 ans !”

Marco Brazzoduro, professeur de sociologie à l’université de Rome La Sapienza, il est l’un des grands spécialistes italien, de la question rom.
OpenDemocracy

source : http://www.courrierinternational.com

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