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26 septembre 2008

Le capitalisme en questions

Qu'est-ce que le capitalisme ? Le capitalisme est-il compatible avec l'exigence de justice sociale ? Allons- nous vers un capitalisme mondial ? Voilà quelques-unes des questions qui ont cristallisé au cours de ces deux derniers siècles les principaux débats autour du capitalisme. Contradictoires, les réponses que ces questions ont reçues ont également évolué dans le temps.

Qu'est-ce que le capitalisme ?

Aujourd'hui encore, la notion de capitalisme est discutée et source de malentendus. Sa définition se heurte à au moins quatre difficultés.

Un concept et une idéologie. D'un côté, c'est un concept qui sert à décrire un mode de production.

De l'autre, le suffixe en « isme » l'assimile à une idéologie au même titre que le socialisme auquel il a été d'ailleurs traditionnellement opposé ; en ce sens, il peut être utilisé comme « mot de combat » selon la formule de François Perroux.

Une réalité complexe. Pour les uns, le capitalisme est un phénomène essentiellement économique qui peut être analysé indépendamment de la sphère sociale, comme le pense par exemple F. Perroux (Le Capitalisme, 1948, Puf, « Que sais-je ? »). En cela, le capitalisme se définirait en opposition avec le socialisme, caractérisé, lui, par le primat du politique sur l'économique. Pour d'autres, le capitalisme est loin de se réduire à l'économique. Joseph Schumpeter va jusqu'à suggérer de l'étudier comme une civilisation. Chez Fernand Braudel, le capitalisme ne couvre pas toute l'économie mais en constitue l'« étage supérieur », au-dessus de la civilisation matérielle et de l'économie de marché. D'autres encore nient l'existence d'un capitalisme « comme une réalité sociale existant en soi et pourvue d'une sorte d'autonomie, de capacité d'autodétermination, obéissant à des lois de fonctionnement et de développement propres »(1).

Un objet en perpétuel changement. Une autre source de difficultés tient aux changements permanents que connaît le capitalisme. Comme l'explique l'économiste Michel Beaud, « Loin d'être une réalité figée, un cadre rigide, un ensemble de rapports stables, le capitalisme est une dynamique et auto-transformatrice à l'oeuvre de manière incessante »(2) . Cette caractéristique avait été soulignée dès l'abord par Marx ou Schumpeter. D'où la difficulté d'identifier le capitalisme sous des traits définitifs. D'où aussi la déclinaison des épithètes qui lui ont été accolés (marchand, industriel, postindustriel...).

Une multitude de réalités. Enfin, le capitalisme recouvre différentes réalités : l'accumulation du capital mais aussi la propriété privée, la coordination par le marché, les relations marchandes, le salariat... Tous les penseurs ne s'accordent pas sur l'importance de chacune de ces caractéristiques, même si l'idée de processus d'accumulation illimitée est dans la plupart des définitions.

Capitalisme et justice sociale sont-ils conciliables ?

Cette question a opposé et continue d'opposer trois grandes traditions de pensée, l'une encline à considérer que le capitalisme est dans son essence une source d'inégalités et doit donc être dépassé (socialisme révolutionnaire), l'autre pensant au contraire qu'il profite au plus grand nombre (libéralisme) ; celle enfin pour qui le capitalisme peut être régulé, encadré : la tradition social-démocrate apparue dans l'entre deux guerres et le libéralisme social. Dès le xixe siècle, des libéraux réformistes comme J.S. Mill considèrent qu'il est possible de corriger les abus du capitalisme.

De fait, son développement est allé de pair à partir du xixe siècle avec la mise en place progressive d'une législation sociale. Dès les années 1870, durant l'ère bismarkienne, l'Allemagne adopte les premières lois sociales. Suivra l'adoption en France de lois limitant la durée du travail des enfants, des femmes puis des ouvriers. A partir de l'après-guerre, la mise en place d'un Etat-providence aux Etats-Unis (à travers le New Deal), en Angleterre (rapport Beveridge) puis dans les pays occidentaux, répond au souci de concilier dynamique du capitalisme avec justice sociale. Les années de croissance de l'après-guerre s'accompagnent d'une progression généralisée du niveau de vie.

Les débats sur la crise de l'Etat-providence apparu avec les chocs pétroliers et la mise en cause des politiques keynesiennes dans les années 70-80 ont incliné certains auteurs à penser que l'Etat providence n'était qu'une parenthèse dans la longue histoire du capitalisme. Ils interprètent le contexte actuel comme la remise en cause de la grande transformation décrite par Karl Polanyi (voir encadré). En d'autres termes, dans le contexte de mondialisation, le capitalisme retrouverait sa véritable nature, essentiellement économique, désencastrée du social(3).

Toutefois, dans le contexte des années 90 marquées par l'adoption de politique d'austérité et de réduction des dépenses publiques dans les pays occidentaux, certains auteurs tentent de poser en termes nouveaux le débat. C'est le cas du prix Nobel d'économie, Amartya Sen, qui réfléchit à la possibilité de concilier réduction des dépenses et justice sociale.

Dans l'optique de l'école de la régulation, d'autres soulignent la nécessité d'imaginer de nouveaux compromis sociaux. Parmi eux, Michel Aglietta n'exclut pas la possibilité d'articuler ces compromis à l'actionnariat salarié(4).

D'autres enfin considèrent que les Etats et leurs économies nationales ne sont plus les cadres pertinents pour penser le rapport entre capitalisme et justice sociale, que les dispositifs doivent être désormais envisagés à un niveau supranational. Vont dans ce sens : les accords contre le dumping social ou l'imposition d'une taxe sur les transferts financiers (la fameuse taxe Tobin imaginée par le prix Nobel américain du même nom et prônée par l'association Attac).

Le capitalisme est-il moral ?

Si la réponse à cette question se fonde sur des constats objectifs (aggravation des inégalités, exploitation d'enfants...), elle est aussi liée à des présupposés culturels et religieux.

Dans les pays à dominante catholique, la défiance à l'égard du capitalisme prendrait sa source dans une condamnation ancienne : celle de l'usure et de l'enrichissement, déjà présente chez Aristote ou dans l'Ancien Testament.

Pour la philosophe et spécialiste d'éthique financière Geneviève Even-Granboulan, auteur d'un ouvrage récent sur ce thème(5): « Le catholicisme a longtemps été hostile au capitalisme et malgré une certaine atténuation de cette condamnation, cette réticence n'a pas été totalement levée. » Elle se retrouve notamment dans la condamnation des pratiques de spéculations financières.

Les mêmes explications ont été avancées au sujet des pays à dominante musulmane dans lesquels l'usure est encore une pratique condamnée(6) .

Depuis L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme de Max Weber, les pays protestants sont au contraire réputés mieux disposés au capitalisme. L'accumulation n'y est pas considérée comme une fin en soi mais un moyen d'une vie bonne. En ce sens, le capitalisme devient une discipline de tous les instants. Mais ce qui est vrai pour le capitalisme des origines l'est-il pour le capitalisme contemporain ? Différents auteurs en doutent en considérant que « les valeurs dont parle Weber (ont) été détruites depuis longtemps par l'envahissement de l'économique dans notre imaginaire»(7).

Toutefois, pour G. Even-Granboulan : « On fait souvent grief au capitalisme de son immoralité ; de fait, cette immoralité caractérise des formes imparfaites de capitalisme qui ne sont pas encore parvenues à maturité. On serait tenté de citer les exemples contemporains du développement anarchique du capitalisme mafieux à la russe ; ou encore l'appétit de jouissance d'un pays comme la Chine. Cette fièvre d'acquisition sans aucun frein moral a beau exister bien souvent, elle n'a pas grand-chose à voir avec le capitalisme et son "éthos" fondamental. L'esprit du capitalisme est amené à lutter contre ces pratiques qui constituent autant de déviations regrettable et condamnables. »

Pour d'autres, le capitalisme n'est qu'un processus d'accumulation dépourvu de finalité autre que cette accumulation. En cela, il n'est ni bon ni mauvais, il est amoral. La question est alors de savoir comment lui donner sens.

Ces dernières années ont ainsi vu des tentatives de moralisation à travers l'édiction dans des secteurs d'activité professionnelle de règles d'action (déontologie). Elles se traduisent concrètement par la rédaction de chartes de déontologie au sein d'entreprises. Certaines d'entre elles ont ainsi affiché leur refus de commercialiser des produits jugés immoraux (magasins Auchan par exemple), de délocaliser dans des pays qui exploitent les enfants et les femmes (firme Lévi Strauss) etc. A noter aussi, plus récemment, le développement de « fonds éthiques ». Destinés à l'origine à gérer les fonds de communautés religieuses, ils se sont diffusés auprès du grand public. Ils consistent à sélectionner les actions en fonction de critères éthiques. La rentabilité de ces fonds se révèle aussi élevée que les fonds classiques. Des spécialistes de la finance y voient une piste à ne pas négliger pour moraliser le capitalisme contemporain(8).

Allons-nous vers un capitalisme mondial ?

Si tous les penseurs s'accordent sur l'idée d'une extension inéluctable du capitalisme, tous n'en concluent pas à l'imposition d'un seul et même capitalisme mondial.

Le point de vue critique. Déjà, pour les marxistes léninistes, le capitalisme était voué à s'étendre, par le jeu de l'impérialisme, à l'échelle de toute la planète.

Depuis, les débats intervenus dans les années 80-90 autour de la mondialisation et de la globalisation financière, de l'essor du commerce mondial, de l'apparition de nouveaux pays industrialisés, etc., ont banalisé l'idée de l'émergence d'un « capitalisme mondial ».

Dès les années 70, dans Le Capitalisme mondial (Puf, 1976, rééd. Puf, Quadrige, 1998), Charles-Albert Michalet recommande de substituer le paradigme de l'économie mondiale à l'économie internationale. Il met en avant le rôle des firmes multinationales et leur essor depuis les années 50. Alain Caillé parle d'un « mégacapitalisme parfaitement insensible aux attaques effectuées sur une base seulement nationale »(9) . D'autres auteurs, comme Serge Latouche, mettent en avant l'idée d'un « marché devenu planétaire » sous l'emprise d'une « mégamachine » liée à la technostructure (Les Dangers du marché planétaire, Presses de sciences po, 1998).

Les approches comparatives. Dans les années 80-90, de nombreuses études comparatives montrent que les sociétés capitalistes les plus avancées continuent à présenter des divergences notables. Citons, outre le célèbre ouvrage de Michel Albert, les travaux des courants régulationnistes ou institutionnalistes. Ils mettent l'accent sur le poids des institutions, des trajectoires nationales ou des phénomènes d'hybridation. La convergence est alors considérée comme peu probable, chaque système productif se renouvelant en permanence en adaptant des innovations venues de l'extérieur au contexte économique mais aussi social et culturel du pays.

Dans Capitalismes en Europe (La Découverte, 1996), Colin Crouch et Wolfang Streeck écrivent ainsi : « Contrairement à une idée répandue, les technologies et les marchés sont loin d'être les seuls facteurs déterminants de la vie sociale dans un régime capitaliste, et les sociétés disposent de schémas variés pour définir la manière de conduire leurs capitalismes respectifs et, par conséquent, la sorte de sociétés qu'elles veulent développer. Dans certains cas, ajoutent-ils, ces choix ont été faits depuis longtemps et se trouvent désormais profondément enracinés dans une "culture" établie qui échappe, du moins à court terme, aux acteurs contemporains. » Cette thèse d'une diversité est toutefois discutée, notamment aux Etats-Unis. Dans L'Economie mondialisée (Dunod, 1993), consacrée au « capitalisme du xxie siècle », l'ex-secrétaire d'Etat au travail, Robert Reich, considère que l'extension de la sphère marchande à l'échelle de la planète remet en question le concept d'économie nationale et rend obsolètes les particularismes nationaux du capitalisme.

De son côté, Michel Albert suggérait lui-même récemment l'idée d'une convergence entre le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme rhénan (pour mieux réfuter l'idée d'une substitution du premier sur le second)(10) . Dans leur ouvrage déjà cité, Streeck et Crough reconnaissent à leur tour la remise en cause de spécificités nationales, sous l'effet notamment de la globalisation financière. « Sauf si une capacité de gouverner est rétablie au niveau national, ce qui semble fort improbable, la diversité future du capitalisme ne se situera plus principalement dans des divergences entre pays. » Dans ce contexte, c'est, selon eux, à l'échelle des entreprises ou des régions que se situeront les spécificités.

L'économie politique internationale. Du point de vue des spécialistes d'économie politique internationale, il ne fait en revanche plus de doute que les différences nationales sont appelées à s'estomper voire disparaître. Pour eux, le développement de la finance internationale et la position hégémonique des Etats-Unis modifient la donne. Entre autres constats, l'Américaine Suzan Strange souligne les difficultés croissantes des Etats à gérer de manière autonome leur économie, le poids de la réglementation internationale, la dénationalisation des firmes, les fusions-acquisitions... Elle met également en avant les effets de la position hégémonique des Etats-Unis, notamment en matière réglementaire (normes de pollution automobile, règles de comptabilité...) dans ce processus d'homogénéisation. « Comme la société devient multinationale dans son comportement, sinon dans son apparence, explique-t-elle, les capitalismes ne peuvent que converger, plutôt que diverger.»(11).

Le capitalisme est-il immortel ?

La théorie marxiste. Pour Marx, il ne faisait pas de doute que le capitalisme devait disparaître à terme. Les causes qu'il avance sont à chercher dans les contradictions internes au capitalisme : le mode de production capitaliste engendre une dynamique qui produit des effets contraires à ses principes (la libre concurrence et la propriété privée). La concurrence pousse à l'innovation, or celle-ci implique des dépenses croissantes qui encouragent la concentration et la substitution des machines à la main-d'oeuvre. Il en résulte une baisse tendancielle du taux de profit et une exacerbation des conflits de classes.

Dans cette perspective, la disparition du capitalisme doit être précédée de crises allant en s'aggravant. Toutefois, Marx et les marxistes n'excluent pas la possibilité que des facteurs extérieurs (découverte scientifique, organisation du travail...) contrecarrent momentanément la baisse du taux de profit. Ce qui a fait dire à des commentateurs que la thèse est infalsifiable ( on peut toujours invoquer un facteur extérieur) et donc dépourvue de caractère scientifique. Différents auteurs marxistes n'en ont pas moins entretenu jusqu'à nos jours l'idée d'une fin prochaine du capitalisme. C'est le cas de l'historien et sociologue Immanuel Wallerstein(12). L'idée d'une fin du capitalisme est également présente chez des penseurs non marxistes.

La thèse de Schumpeter. Elle est développée notamment dans un chapitre de Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942), intitulé « Le capitalisme peut-il survivre ?». Schumpeter y écrit : « les performances réalisées et réalisables par le système capitaliste sont telles qu'elles permettent d'écarter l'hypothèse d'une rupture de ce système sous le poids de son échec économique, mais le succès même du capitalisme mine les institutions sociales qui le protègent et crée "inévitablement" des conditions dans lesquelles il ne lui sera pas possible de survivre et qui désignent nettement le socialisme comme son héritier présomptif ».

Si sa conclusion rejoint les marxistes, les explications diffèrent. Pour lui, la cause de son autodestruction n'est pas économique mais sociale : elle tient à la disparition des classes sociales qui lui sont utiles (les entrepreneurs) ainsi qu'à l'affaiblissement des valeurs bourgeoises et familiales.

La thèse de la société postcapitaliste. Les transformations liées à la tertiarisation, aux nouvelles technologies, les débats autour du déclin des Etats-nations ont accrédité, à partir des années 60, l'idée de l'émergence d'une société postindustrielle, immatérielle ou de l'information.

Certains auteurs en ont conclu à la fin du capitalisme. C'est le cas du célèbre gourou Peter Drucker. Dans un ouvrage paru en 1993 (Post-Capitalist Society, Harper Business), il annonce, avec la révolution du management, l'émergence d'une société post-capitaliste fondée sur le savoir. « Maintenant, tout le monde sait que la société à venir sera tout sauf marxiste. Mais beaucoup d'entre nous savent aussi, ou du moins pressentent, que là où vont les pays développés, on ne parlera plus de ce qui s'appelle capitalisme. Certes le marché restera, en pratique, l'instrument de l'intégration économique. Mais dans les pays développés, la société, elle, est déjà entrée dans l'ère postcapitaliste. »

La thèse du renouveau. D'autres penseurs considèrent au contraire que c'est à l'émergence d'un nouveau capitalisme à laquelle on assiste. Dans la dernière édition de son Histoire du capitalisme (Point Seuil, 1999), l'économiste Michel Beaud écrit : « nous pensons que le capitalisme est plus puissant et plus vivace que jamais ; ce qui s'inaugure, c'est un nouvel âge du capitalisme, caractérisé par la mobilisation croissante de la technoscience par les firmes pour l'innovation, la création de nouveaux produits et de nouveaux procédés et la lutte permanente, dans la compétition, pour recréer des situations monopolitisques. »« Dès lors, poursuit-il, au delà du passage de l'industrie au tertiaire, le phénomène essentiel en cours est le double mouvement de recul relatif du capitalisme industriel (...) à un capitalisme postindustriel (...)». Dans une perspective régulationniste, Michel Aglietta analyse de même la situation actuelle comme le passage d'un capitalisme fordiste à un capitalisme de type patrimonial, fondé sur l'actionnariat salarié et la corporate governance, les fonds de pension...

En somme, si le capitalisme est voué à mourir, c'est pour mieux renaître de ses cendres, sous d'autres formes.

L'esprit du capitalisme. Reste à savoir pourquoi le capitalisme a survécu et pourquoi il est susceptible de connaître encore de beaux jours. Pour expliquer cette longévité, les sociologues Luc Boltanki et Eve Chiappelo ont avancé des hypothèses originales. Si le capitalisme a survécu, et survivra manifestement, disent-ils en substance, c'est en raison de sa capacité d'esquiver les critiques qui lui sont adressées et de les intégrer, qu'elles émanent des mouvements sociaux ou qu'elles soient le fait des milieux intellectuels et artistiques. « Les dangers que court le capitalisme quand il peut se déployer sans contrainte en détruisant le subtrat social sur lequel il prospère trouvent un palliatif dans la capacité du capitalisme à entendre la critique qui constitue sans doute le principal facteur de la robustesse qui a été la sienne depuis le xixe siècle. » Les auteurs montrent ainsi comment le discours managérial des années 80-90 a intégré les aspirations des années 60 (responsabilisation, autonomie, mobilité...).

Existe-t-il des alternatives à l'économie de marché ?

L'effondrement de l'URSS, dans les années 80-90, la mondialisation, la contestation de l'interventionnisme étatique, etc., ont accrédité l'idée d'un triomphe de l'économie de marché. Dans son célèbre article sur « La fin de l'histoire », paru en 1989, l'Américain Francis Fukuyama annonçait le triomphe de la démocratie libérale et de l'économie de marché.Vraie ou fausse, cette idée n'a pas empêché le développement de courants de réflexion visant à dépasser l'alternative classique entre coordination spontanée par le marché et coordination par l'Etat.

La « troisième voie ». Jusqu'à présent, les débats autour des politiques économiques opposaient les libéraux et ultralibéraux, partisans d'un désengagement de l'Etat, des privatisations des entreprises voire des services publics, aux socio-démocrates, partisans d'une intervention de l'Etat. Introduite aux Etats-Unis dès les années 80 par les « nouveaux démocrates » (tourner la page du New Deal) puis en Europe par Anthony Giddens et le blairisme, la troisième voie vise à concilier efficacité du marché avec justice sociale.

L'économie solidaire. Depuis les années 70-80, des sociologues et des économistes promeuvent l'économie solidaire consistant à mettre l'économique au service du lien social, sur la base du bénévolat et de la solidarité. Elle désigne concrètement l'ensemble des entreprises et associations concourant à la réinsertion par l'économique des sans-emplois, ou favorisant les échanges non marchands, les services de proximité... Tout en s'inscrivant dans l'économie sociale, elle la dépasse en s'efforçant de trouver des solutions aux sociétés confrontées au chômage de masse et à la fracture du lien social. Pour l'un de ses principaux promoteurs, le sociologue Jean-Louis Laville, elle permet de palier les insuffisances de l'interventionnisme de l'Etat tout en évitant la logique marchande pour résoudre le problème du chômage de masse. Elle ne cherche donc pas à se substituer ni à l'Etat ni au marché mais à réaliser avec elle une hybridation, à partir de dynamiques de projet. Ce faisant, elle entend dépasser aussi la conception d'une économie séparée du social et du politique. Elle a été consacrée récemment avec la création en France d'un secrétariat d'Etat de l'Economie solidaire (placé sous la tutelle du ministère de l'Emploi).

Une économie sans argent. Autour de la Revue du Mauss animée par Alain Caillé, des anthropologues et des socio-économistes poursuivent une analyse critique de l'économie marchande et de la doctrine utilitariste en opposition à la logique du don contre don à l'échange marchand. Dans un esprit similaire, d'autres courants de réflexion militent en faveur de nouvelles formes d'échanges non marchandes qui coexisteraient avec les formes classiques de l'échange marchand. Vont dans ce sens les initiatives en faveur des systèmes d'échange local (SEL).

Sylvain Allemand - Sciences Humaines, juin-juillet-août 2000


NOTES
1 - François Fourquet, « Le capitalisme existe-t-il », Revue du Mauss, n° 9, 1er semestre 1997.
2 - M. Beaud, « Capitalisme, logiques sociales et dynamiques transformatrices », in Bernard Chavance et al., Capitalisme et Socialisme en perspective, La Découverte, 1999.
3
- Jacques Adda, La Mondialisation de l'économie, La Découverte, « Repères », tome I, 1996.
4 - M. Aglietta, Le Capitalisme de demain, note de la fondation Saint-Simon.
5 - G. Even-Granboulan, Ethique et Economie, L'Harmattan, 1998.
6 - Xavier Couplet, Daniel Heuchenne, Religions et Développement, Economica, 1998.
7 - Joseph Hadjian, « L'actualité paradoxale de la Grande Transformation » in Jean-Michel Servet et alii (dir.), La Modernité de Karl Polanyi, L'Harmattan, 1998.
8 - André Orléan, Le Pouvoir de la finance, Odile Jacob, 1999.
9 - Comment peut-on être anticapitaliste ?, Revue du Mauss, n° 9, 1er semestre, 1997.
10 - Sociétal, déc. 1999, n° 27.
11 - S. Strange, « L'avenir du capitalisme mondial. La diversité peut-elle exister indéfiniment ? » in C. Crough et W. Streeck, op. cit.
12 - Voir l'entretien qu'il nous a accordé, Sciences Humaines n° 71, avril 1997.

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Commentaires
M
Ni combattante, ni engagée politiquement, je ne fais que chercher, en revanche je sais avec certitude où ne pas mettre les pieds afin d'éviter de tomber dans les bourbiers du type de celui que vous représentez. Vous devriez remplacer le titre de votre blog "un autre regard politique" par "comment je refais l'histoire", parce que concernant le Communisme vous semblez avoir de grosses lacunes, ou alors vous avez bu, il y a forcément une connexion qui s'est mal faite quelque part, peut-être dans votre cerveau, ou bien encore vous avez manqué d'oxygène, il paraît que quelque secondes suffisent pour être réduit au rang d'acéphale. Que s'est-il donc passé ? <br /> <br /> Vous dites "hiérarchie et marché" nous invitent à voir l'unité du monde". Décidément il faut être complètement barré pour lancer une telle chose ! Comment faites-vous donc pour pondre ce genre de propos ? Je suis loin d'être une spécialiste en matière d'économie et de politique, mais vous n'avez pas mal aux cheveux de sortir de telles aberrations ?<br /> Et puis tiens ! faisons donc un pari, je vous garantis que les Bayrou, Jospin, Chirac et l'affreux nabot ne survivront pas aux théories soi-disant "éculées" du XIXe. On aura oublié le nom de toutes les raclures politiques actuelles bien avant Karl Marx et autres figures qui ont marquées le XIXe siècle.<br /> <br /> Et je vous remercie également, car grâce à vous ma colère est entretenue, et je peux ainsi mesurer l'ampleur du travail qui reste à faire.
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C
Oui, je suis bourgeois, capitaliste, de droite, très franco-centré... J'accepte tous ces qualificatifs. Une polémique tout de même : la nation est la terre-mère, après la famille, de la solidarité et de la fraternité.<br /> <br /> Il n'y a pas d'alternative au capitalisme. Marx n'était qu'un classique critique ; le communisme n'a comme seule réussite que l'exploitation de l'homme par l'homme et vous le savez.<br /> J'en tire deux conclusions :<br /> 1) dans la vie, il faut faire avec, avec le capitalisme pour en tirer quelque chose ; <br /> 2) il est temps de dépasser les théories éculées du XIXè ; "hiérarchie et marché" nous invitent à voir l'unité du monde ; tandis qu'Henochsberg nous invite à comprendre que la révolution c'est l'association de la circulation et la production. Et la réflexion ne fait que commencer. <br /> <br /> Et vous ? "détruisons le capitalisme". D'accord ! Mais le seul monde qui soit, appartient à la sphère du capitalisme. Donc la seule révolte qui soit, au-delà de légitimes combats ponctuels, est "quel nouveau capitalisme ?". Comment faire en sorte que les prolétaires "profitent" du système. Oui, atteindre la vie bourgeoise est une aspiration centrale d'une immense majorité de l'humanité ; pour l'assumer, certains ont même inventé le Bo-Bo. <br /> <br /> Je salue chez vous le combattant et le remercie au-delà de nos désaccords.
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M
Bonjour cajj,<br /> Si j'ai posté cet article c'est parce qu'il semblait offrir un panel assez large de questions concernant le Capitalisme, et pour comprendre que la destruction de ce dernier est indispensable, cela demande au préalable d'en étudier son monstrueux fonctionnement. On s'effraie d'abord, on tente de saisir dans un second temps comment on en est arrivé à cette misère économique et sociale, mais du moins comprend-on un peu mieux, rien qu’un peu, le pourquoi et le comment et c'est déjà beaucoup pour ceux que le Capitalisme à choisi d'ignorer, de piller ou de sacrifier.<br /> <br /> Pourquoi "dépasser" l'opposition communisme/capitalisme si c’est pour en arriver à "l'articulation hiérarchie/marché" que vous mentionnez. Je n’ai pas trop envie de m’attarder sur ce thème ingrât. De quoi parlons-nous ? de quoi s’agit-il en fait ? Si ce n’est que le générateur d'inégalités inacceptables, le capitalisme, s’annihile de lui-même, et ce internationalement, mais le contexte international semble malheureusement vous échapper sur votre blog, la France sonne jusqu'à la Saint glinglin (les oreilles m'en tintent encore) à ce point d'ailleurs que le reste du monde en est absent, fort heureusement le réchauffement climatique est là pour abolir les mauvaises consciences.<br /> <br /> Que dire d'autre, sinon répéter inlassablement et autant de fois que possible que Le capitalisme n'est rien d'autre qu'une machine à broyer du prolétaire en spoliant auparavant toute l'énergie de ce dernier et en abusant de sa force de travail jusqu'à l'abrutissement. Voilà le domaine dans lequel le capitalisme excelle et contre lequel il est indispensable de lutter, avec des mots, des poings, des larmes, du vent peut-être mais au moins de dénoncer ce qui est infiniment injuste. <br /> <br /> Merci de votre intervention, mais après une brève lecture de votre blog, cependant suffisamment condensée pour que je me fasse une idée, je ne partage pas votre point de vue.<br /> Vous vous échinez à défendre le petit porteur et encouragez ce dernier à se vautrer dans les remugles de la bourgeoisie, vous citez Chirac et de Gaulle au passage, ou bien encore vous vous faites le laudateur du fripon Jospin. Si telle est votre conception de la largesse d'esprit... ce n’est pas la mienne. Vous proposez à tout va des solutions soit qui n’en sont pas, soit qui font la part belle aux bourgeois, vous lancez des “je suis pour” et “je suis contre” aussi péremptoires qu’injustifiés, et on dénote dans vos propos un nationalisme pugnace qui ne va pas de paire avec l’idée qu’on peut avoir de la solidarité malgré toute votre bonne volonté. D’ailleurs votre bonne volonté elle est française avant que d’être humaine et elle est loin de servir ceux qui sont le plus en peine. Alors laissons tomber le “beau” panorama, il n’y a rien de beau dans tout ceci, juste une révolte que même la fatigue n’endort pas et les hommes politiques que vous vous plaisez de citer peuvent bien aller se faire voir, TOUS, mais Koutchner en premier, parce que j’ai mes préférences dans le pire.
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C
http://regardpolitique.canalblog.com/archives/p186-6.html<br /> <br /> Merci pour ce beau panorama. <br /> On peut élargir (encore !) le regard au travers les thèses exprimées dans les ouvrages suivants :<br /> - Michel Henochsberg, "Nous nous sentions comme une sale espèce" qui revient sur la réalité du marché dans son histoire et sa dynamique ;<br /> - Oliver E. Williamson, "Les institutions de l’économie" qui nous offre de dépasser l'opposition communisme/capitalisme par l'articulation hiérarchie/marché.<br /> <br /> La série d'articles citée en lien s'en veut une extrapolation et une synthèse.
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