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LAST EXIT
11 octobre 2008

L'assujettissement à la bureaucratie et le narcissisme

[...]En prolongeant le sentiment de dépendance jusque dans l’âge adulte, la société moderne favorise le développement de modes narcissiques atténués chez des gens qui, en d’autres circonstances, auraient peut-être accepté les limites inévitables de leur liberté et leur pouvoir personnels - limites inhérentes à la condition humaine - en développant leurs compétences en tant que parents et travailleurs. La société rend de plus en plus difficile à l’individu de trouver satisfaction dans l’amour et le travail, mais elle l’entoure simultanément de fanstasmes fabriqués qui sont censés lui procurer une gratification totale. Le nouveau paternalisme prêche en faveur de l’accomplissement, et non du déni de soi. Il se range du côté des pulsions narcissiques que le plaisir de pouvoir compter sur soi-même, ne serait-ce que dans un domaine limité, pourrait modifier ; or, ce plaisir lorsque les conditions sont favorables, va de pair avec la maturité. Non content d’encourager les rêves grandioses d’omnipotence, le nouveau paternalisme étouffe les fantasmes plus modestes et affaiblit l’aptitude de l’individu à se laisser aller à croire. Il rend ainsi de moins en moins accessible les gratifications que donnent les substitutions bénignes, et en particulier l’art et le jeu.  Or, celles-ci aident à mitiger le sentiment d’impuissance et la peur de la dépendance qui risquent de s’exprimer sous des traits narcissiques.

Ainsi, notre société se montre doublement narcissique. D’une part, et bien qu’elles ne soient pas nécessairement plus nombreuses qu’auparavant, les personnalités narcissiques jouent un rôle manifeste dans la vie contemporaine, et atteignent souvent des positions éminentes. Jouissant de l’adulation des masses, ces gens en vue donnent le ton à la vie tant privée que publique, puisque le mécanisme de la célébrité ne reconnaît pas de frontière entre ces deux domaines. Les “idoles” - ce terme révélateur, englobant non seulement les riches et les têtes couronnées mais tous ceux qui se dorent, ne serait-ce qu’un instant, dans la lumière des projecteurs, ou se reflètent dans l’oeil d’une caméra -, ces idoles, donc, vivent pleinement le fantasme du succès narcissique. Or, celui-ci n’est rien d’autre qu’un désir d’être immensément admiré, non pour ce qu’on a accompli, mais simplement pour soi-même, sans réserve et sans esprit critique.

D’autre part, non content de mettre les personnalités narcissiques sur un piédestal, la société capitaliste moderne provoque et renforce les traits narcissiques en chacun de nous. Elle le fait de nombreuses façons : en montrant le narcissisme de manière éclatante et sous des formes extrêmement séduisantes, en affaiblissant l’autorité des parents (l’enfant connaissant alors de grandes difficultés à grandir) et, surtout, en créant tant d’occasions d’assujettissement à la bureaucratie. Cette dépendance, qui s’accroît sans cesse dans notre société, d’ailleurs aussi “maternaliste” que paternaliste, rend de plus en plus difficile aux individus de se débarrasser de leurs terreurs infantiles ou d’apprécier les consolations de l’âge adulte.

Christopher Lasch, la culture du narcissisme, 1979

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