laideur bourgeoise
Le plus souvent, le travailleur laborieux n’est pas directement confronté à celui qui lui vole son énergie et son temps parce que des intermédiaires hiérarchiques se chargent d’établir la distance entre celui qui exploite et celui qui subit. Il arrive cependant que le prolétaire soit amené à rencontrer le bourgeois lui-même et côtoyer malgré lui l’univers puant et tout en lucre de l’existence de son ennemi. En somme, il est frontalement soumis à la personnalité inique du personnage et le plus souvent à sa repoussante obséquiosité. Car la caractéristique du bourgeois se situe bien dans la facilité de ce dernier à “faire comme si” le prolétaire était son égal, si ce prolétaire là est une femme, le bourgeois redoublera même de condescendance, utilisant les prétextes les plus fallacieux afin de la convaincre de ses bonnes intentions. Ainsi, il lui dira : “Allons, allons ! jeune femme, pas de chichis avec moi, nous sommes entre bons amis, n’est-ce pas ? Mettez-vous donc à votre aise... moi vous savez, je respecte tout le monde parce que c’est important le respect, j’ai réussi dans le monde des affaires, parce que, hum... voyez-vous j’étais un battant, il faut se battre dans la vie mais j’ai toujours respecté les autres ” Notre flagorneur se chargera alors de développer toute l’artillerie historique de sa piteuse existence, uniquement fondée sur la valeur marchande de l’individu, et contrairement à ce qu’il laisse entendre, totalement vidée de toute considération humaine. Il montrera à sa nouvelle amie ses trophées (argenterie, tableaux de maître, armes diverses et autres objets précieux) comme autant d’oripeaux accumulés ici et là sur le globe et sur le dos d’une multitudes d’individus colonisés, exploités, vidés de leurs biens par cet être fossilisé dans ses idées, dressé à spolier et vivre de ses innombrables spoliations, puis il se laissera tomber dans son large fauteuil, repus de ses odieux exploits ainsi que de ceux de ses pairs, pour enfin, à nouveau plein de verve, discourir avec cette appétit caractéristique chez le bourgeois, de ses illustres relations, imposantes fonctions et autres responsabilités qui lui furent attribuées dès son entrée dans le monde des affaires.
L’oeil torve, il supputera d’éventuelles alternatives face à la crise, en maugréant contre la stupidité des plus nombreux et oubliant au passage ses récents propos sur le respect. Cet être encore jeune mais rendu adipeux par l’excès de foie gras et de sottises, déjà blasé et boudiné dans son ennui, pétri d’idées poussiéreuses et arriérées, rassemble décidément tous les clichés de l’immondice bourgeoise, lui manque juste le cigare... peut-être. La femme assise en face de lui pourra tout au plus surmonter son dégoût en imaginant foncer sur cet abomination, Ah ! lui cravacher le visage, enfoncer ses ongles dans le blanc de ces yeux qui ne savent pas voir, lui lacérer sa belle gueule de bourgeois rasé de près et empestant l’after-shave, voir le sang couler, juste un peu... Mais cet homme là, de même que nombre de ses congénères, n’a aucune idée de l’abjection qu’il suscite, de l’effet ridicule qu’il renvoie de lui-même, et de la vacuité de ses propos. Notre gentilhomme aura même l'imbécilité de penser avoir épaté. Il se mettra à dévisager la personne en face de lui de la tête aux pieds, puis des pieds jusqu’à la tête son regard remontera lentement, lubrique, l'air graveleux, à la limite de l'obscénité. C’est ce qu’on appelle un viol à la façon bourgeoise, déshabillage sans toucher, pas de preuve, pas d’affront, bref, l’humiliation à l’état pur. Enfin, sur un ton doucereux mais armé d’un sourire des plus factice, le ploutocrate dira à ce qu’il reste de femme : “bon je vous laisse retourner à vos tâches” puis sur le point de partir, il se retournera une dernière fois et lui lancera joyeusement : “la prochaine fois, faites-moi plaisir, venez en jupe !”