Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LAST EXIT
8 mai 2009

L'urgence et la mort

persistanPour saisir cette signification profonde de l’urgence, il faut considérer la manière dont nous nous projetons par rapport à notre propre finitude. Pour cela, il n’est pas inutile de rappeler de quelle façon l’homme parvient à donner un sens à son action durant le temps qui lui est imparti avant sa mort et à échapper ainsi au sentiment du néant. Le philosophe Marcel Conche, dans Temps et Destin,  mentionne les principales “illusions” auxquelles l’homme a recours pour ce faire.

- La première est l’illusion morale, lorsqu’on se figure qu’en agissant moralement, “on acquiert des mérites qui nous demeurent attachés comme des propriétés” : l’homme moral acquiert en quelque sorte un droit sur le temps. C’est la signification de l’impératif moral dont Kant a montré la nature catégorique. Cet impératif signifie simplement qu’il faut faire ce qu’on doit parce qu’on le doit, en sachant bien pourtant qu’il n’y a rien à attendre ; il faut agir moralement en dépit de la mort. “Tu dois, bien que mortel”, disait Montaigne. La volonté morale est essentiellement une volonté tragique.

- La deuxième est l’illusion religieuse, selon laquelle notre existence - ou celle en nous d’un principe immortel, l’âme - “se poursuivrait indéfiniment après la mort”. Cette croyance, en anéantissant la mort dans la nuit des temps, exerce ainsi une fonction d’illusion, d’ailleurs dénoncée par Freud/ Dieu existe peut-être mais s’il ne sert qu’à dissimuler à l’homme sa condition mortelle, il n’est qu’une illusion.

- La troisième est l’illusion sociale, “On lutte contre la mort et l’oubli en se donnant la peine de “se faire un nom”, d’acquérir considération, notoriété, prestige ou gloire. On s’efforce vainement de ne pas mourir, de durer (peut-on rendre son nom immortel à l’échelle de la vie de l’humanité ?) pour transcender le destin humain qui implique la mort.

- La quatrième est l’illusion ontologique : je crois qu’il y a” : “Tandis que je regarde ma maison, mes livres, mon jardin, je me laisse prendre à l’apparence de consistance du “réel”. J’oublie que tout cela n’est qu’apparence. Croyant à la consistance des choses finies, je m’oublie en elles. Je suis là sur le versant de la possession et de l’avoir, non sur celui de la sagesse qui impliquerait le détachement à l’égard du périssable.

- La cinquième est l’illusion pratique, dans laquelle l’agir intervient comme opium ou divertissement. Dans l’action, l’homme pense à court terme, à ce qu’il y a à faire dans un avenir immédiat et proche. Il vit dans un temps rétréci “en oubliant le temps immense de la nature et la mort universelle”. Il a en vue seulement le fait de faire quelque chose , sans avoir conscience que ce quelque chose est voué au néant. L’homme agissant, qui s’occupe et s’affaire, vit dans un état de distraction (au sens pascalien du terme) par rapport à sa condition et à ce qui l’attend. “Il faudrait pouvoir consentir à l’action sans se perdre et s’illusionner en elle”. Mais l’action n’est souvent qu’une “fuite en avant”, fuite de soi, remède à l’angoisse. Quels liens pouvons-nous tenter d’établir avec la société contemporaine ? De toutes les illusions que nous avons citées, il est clair que notre société est fondée sur les deux dernières : la possession  et le faire, l’agir. les deux sont liés : agir pour posséder plus, conquérir de nouveaux marchés, de nouveaux objets. Agir pour ne pas mourir, garder notre place, assurer notre survie mais aussi, en tenant par tous les moyens de reculer les frontières de la mort, conforter la conquête et la possession, l’urgence, renvoyant “à un temps social raréfié qui nous presserait d’agir de plus en plus rapidement pour en tirer avantage”, constitue une “violence du temps”, selon l’expression de Zaki Laïdi*, un temps qui aurait “aurait pris le pas sur l’homme” et que l’on cherche plus que jamais à maîtriser”. [...]

*Laïdi Z., le sacre du présent, Flammarion, Paris, 2000.
Nicole Aubert, Le culte de l'urgence, 2003                                                                                                        Tableau : Dali, persistance de la mémoire

Publicité
Publicité
Commentaires






Publicité

Manipulation

Livres

Livres

Béacanal

Musique

Archives
Publicité