L'activiste & le politicien
« Le politicien n’aime
guère, voire il déteste la pression exercée par l’activiste radical ; et l’observateur
modéré estime que le radical est injuste et peu judicieux en présentant des
exigences excessives au responsable en place. Ces deux regards critiques
oublient la distinction fondamentale entre le politicien et l’activiste. Cette
distinction est souvent plus clairement perçue par les réformateurs que par les
politiciens en place. Wendell Philips l’expliquait parfaitement : « Le
réformateur ne s’intéresse pas au nombre, se moque de la popularité et ne s’occupe
que des idées, de la conscience morale et du sens commun. [...]
Il ne s’attend pas à remporter un succès immédiat et ne s’en soucie guère d’ailleurs.
Le politicien, lui, se démène dans un présent sans fin. [...] Son travail n’est
pas d’éduquer l’opinion publique mais de la représenter. » James Russell
Lowell exprimait cette idée d’une autre manière : « Le réformateur
doit s’attendre à un relatif isolement, qu’il doit être assez fort pour
supporter. Il ne peut pas compter sur le soutien ou la coopération de majorités
populaires. En revanche, ce sont là les instruments du politicien. [...]
Tous les vrais réformateurs sont des incendiaires. Mais ce sont le cœur, l’esprit
et l’âme de leurs compatriotes qu’ils enflamment et, ce faisant, ils
remplissent la mission que la sage providence leur a confiée. »
L’observateur critique du radical
pourrait bien inconsciemment essayer de conjurer l’image d’un monde grouillant
de radicaux. Un monde de cris, de lamentations et de vitupération incessants.
Mais il lui serait également fort utile d’imaginer un monde sans radicaux :
un monde tranquille, immobile, rongé par le malheur des victimes de l’injustice
abandonnés à leur sort et des opprimés désemparés. De tout temps, c’est d’abord
le radical – et seulement ensuite le modéré – qui tend la main à celui que l’ordre
social a jeté au sol. [...] »
Howard Zinn, L’impossible neutralité (1994)