variations

Les mots voilés - Claudine Cornillon

Des éclats de mots ont ouvert une brêche dans la nécessité du dire. Pourtant le taire est sans doute le meilleur moyen d’échapper au mythe du dicible. La plûme sourit de cracher son encre comme une pieuvre sur la défensive, en arrachant des cris à des lettres, formant des mots comme des fragments de verre aiguisés, mais absents de leur phrase, le tout ballant comme des fils décousus, les idées restant arrimées aux chimères comme une langue pendante et l’écrit devenant muet à force de trop  émettre. Alors que la forme s’échine à se disputer le fond, les mots épousent une fiction et le temps passe.

Faisons une pause. Contentons-nous de rester amarrés au réel, comme un bateau à son quai avant de naviguer à nouveau vers les songes des nuits d’hiver. Ne sentez-vous pas tout-à-coup comme la necessité du dire devient superflue ? D’une caresse la brise enlève des feuilles noircies d’idées aussi futiles que sincères. Restons-là donc, assis tranquillement en tailleur dans l’herbe grasse, humons l’air de novembre, non comme l’annonce d’une rude saison, mais comme le confort d’un nid douillet, juste pour aujourd’hui, quelques instants. Le moineau posé sur l’arbre voisin se moque bien de nos missives et goûte des yeux les miettes de pain que nous avons si bien négligées en refaisant le monde. Inutile que les coeurs s’emballent d’expression trop humaine, la nuit tombe vite, demain arrivera bien assez tôt.